Naissance de l’État Facebook

L’annonce par Facebook de frapper monnaie est un sujet qui fait débat en ce moment, en bien ou en mal, et qui fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup me demande mon opinion, me partage leur inquiétude ou leurs craintes. Non pas sur des problématiques techniques, mais plutôt stratégiques. En effet, quand Facebook annonce la sortie d’une nouvelle solution, celle-ci est clairement opérationnelle et de qualité, le savoir-faire du géant n’est plus à prouver. Pour la partie Blockchain nous nous en doutions au vu des recrutements ultras spécialisés du géant ces derniers mois. Mais le coup de maitre repose certes sur une dimension technique maitrisée, mais surtout sur une élaboration stratégique qu’il faut bien saluer.

 
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Nous n’allons pas revenir sur la technologie blockchain de Facebook, mais plutôt sur sa portée stratégique, pour commencer. Imaginez Facebook vous fournir un compte en banque, une carte de paiement, des promotions chez les partenaires voir des systèmes de fidélisation automatiques, etc. Cela semble incroyable me direz-vous pour ne pas dire utopique. Et bien je vous invite à prendre du recul et à l’analyser.

1 - La technologie blockchain (particulièrement les blockchains privées)

2 - La force de frappe de Facebook (ce qui en fait peut-être l’une des plus importantes sources de renseignement au monde)

3 - Les partenaires (Visa, Paypal, Ebay, Uber, Spotify…).

Finalement je vais me permettre un comparatif qui me vient d’un ami qui se reconnaitra, expert émérite en IE, quelle est la plus-value d’un État souverain ? Une identité commune ? Une sécurisation et un contrôle des « flux » ? Une monnaie souveraine, sous contrôle ? Finalement nous avons déjà un début de parallèle avec l’Etat Facebook puisque son projet regroupe ces trois éléments : l’identité des data et bientôt de la monnaie et en plus des alliés de taille qui composent une constellation numérique que nous connaissons dans nos vies privées et professionnelles.

Je me permets de détailler mon point de vue :

  • L’identité : au travers des profils de chacun, elle sera sans nul doute bientôt complétée par un KYC (processus de vérification d’identité basé sur des documents officiels) pour renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement illégal. La blockchain est justement un outil puissant pour ce genre de problématique. Ce qu’au passage n’ont pas compris nos dirigeants, (CF Bruno Le maire et son inquiétude sur le contrôle). C’est donc à deux mains que l’on va applaudir le durcissement de la sécurité des comptes Facebook, donner nos cartes d’identité, nos justificatifs, etc., et c’est aussi à deux mains que l’on va centraliser outre-Atlantique un panel d’informations initiales propres à un pays.

  • Les flux : il ne faut pas oublier que Facebook est l’un des principaux flux d’informations à travers le monde, autant dire une base de renseignement de choix, que cela soit pour la lutte contre le terrorisme, le trafic, etc. Mais surtout — et c’est bien moins connu dans notre pays — les flux servent aussi dans la guerre économique. Ne nous y trompons pas, un ingénieur R&D d’une grande entreprise française a bien plus de valeur que le radicalisé en devenir. Nous noterons au passage et ce même si cela fait des années que nous prêchons la bonne parole en matière de prévention numérique, qu’il n’est pas rare de voir des vies entières étalées de manière consentante sur les réseaux sociaux, mais c’est là un tout autre débat…

  • La monnaie, cette fameuse valeur propre à Facebook, fascinant ! Imaginez : vous payez au restaurant, avec Facebook directement depuis votre smartphone ou votre montre connectée, qui au passage collecte aussi vos constantes vitales et votre localisation, envoyez de l’argent à un ami, mettez en place une collecte de fonds (ce que fait déjà Facebook), faites un crédit, le tout en un temps record de manière fluide et totalement traçable… mais sous son contrôle. La beauté de cette monnaie n’est pas tant son application utile d’après moi, mais bien la complémentarité d’un point de vue collecte des datas, du renseignement et in fine comme tous éléments qu’un état au sens habituel du terme a déjà.

Vous avez donné vos informations personnelles, professionnelles parfois, vous avez justifié de votre identité, autorisé tous les accès sur votre application, géolocalisation, micro — qui vous écoute un plus souvent que vous ne l’imaginez — et finalement vous leur offrez le flux financier, ce flux propre aux États souverains, c’est pour moi, la naissance de l’État Facebook.

 
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Choquant me direz-vous, je vous répondrais coup de Maitre de la part de nos alliés, je ne pourrais en apporter la preuve, mais je ne vois pas Facebook établir cette stratégie sans un appui souverain, sans une logique étatique, devenir un État sans une ingérence directe ou indirecte des renseignements américains. Et oui, souvenez-vous les postures publiques de la majorité des États à l’encontre du Bitcoin, « c’est à fuir », « bitcoin est le diable » etc.
Il n’en est pas moins que le Bitcoin et de nombreuses autres cryptomonnaies ont les mêmes caractéristiques que la cryptomonnaie de Facebook, à une différence près, elles sont publiques et non sous monopole, elles n’appartiennent à aucun État.

Cette posture publique de dénigrement est donc très intéressante particulièrement à l’aube du nouveau flux informationnel qu’est la blockchain. Comme si un État et ses services de sécurité allaient faire l’impasse sur le potentiel de captation et d’analyse d’un nouveau flux d’information ?!

Il est fort à parier que les États-Unis ont une parfaite lisibilité stratégique des enjeux à venir avec la blockchain et les cryptomonnaies. Et c’est sous cette posture publique négative à l’encontre des cryptomonnaies qui leur a fait gagner un temps précieux. Il leur a suffi de s’appuyer sur ces beaux outils que sont les GAFA pour imposer au reste du monde un flux d’informations maitrisé, contrôlable, souverain, qui se moque des frontières, mieux qui les englobe.

Je n’ai pas la science infuse, mais en tout cas une très bonne lisibilité dans les enjeux stratégiques et technologiques. Nos dirigeants qui souhaitent faire de la France une Blockchain Nation vont avoir bien des défis stratégiques à venir avec cette nouvelle.

Espérons maintenant que les écosystèmes blockchain et crypto nationaux soient soutenus comme il se doit. De nombreuses démarches sont initiées sur le territoire national, comme la Blockchain Valley Vittel où vous l’aurez compris, nous avons non seulement une lisibilité technique, mais aussi stratégique des enjeux à venir pour faire en sorte que la France ait sa part du gâteau tant économique que sécuritaire.

Nous ne sommes pas les seuls : d’autres acteurs et porteurs de projets de la blockchain existent en France. Mais si l’Etat français ne veut pas d’une part, voir sa souveraineté contestée et d’autre part voir les pépites technologiques nationales être rachetées, il doit mettre en place une politique, avec des moyens, à même de faire des acteurs existants un outil de la souveraineté nationale.

Thomas LEGER